Vous pensiez que BMW, Peugeot ou Porsche ne savaient dessiner que des calandres, des tableaux de bord et des feux arrière ? Détrompez-vous ! Les constructeurs automobiles conçoivent aussi des sièges d’avion, des bateaux, des montres, des pianos et même parfois des… cuisines équipées. L’enjeu ? Il est à la fois stratégique, financier et marketing.
Ce 5 avril se tient à Hambourg le Aircraft Interior Expo, un salon où les compagnies aériennes font leur marché et se tiennent au courant des dernières innovations en matière d’aménagement de cabine. Sièges, systèmes de divertissement en vol (IFE), hublots, climatisations : c’est un véritable supermarché de l’équipement aéronautique. Et si d’aventures vos pas vous y mènent, vous y croiserez même au détour d’un stand un nom bien connu, mais pas vraiment dans ce secteur d’activité : Peugeot !
Quoi ? Non content de faire des autos, des vélos, des scooters ou des moulins à poivre, l’austère firme sochalienne aurait-elle décidé en ce début de XXIe siècle de se lancer dans l’aérien ? Pas vraiment. En l’occurrence, Peugeot a collaboré avec l’équipementier français Expliseat pour concevoir un siège destiné aux avions court et moyen courriers. Baptisé Titanium Neo, il est non seulement stylé et confortable, mais surtout ultra-léger : 5 kg, contre une douzaine de kilos pour les fauteuils concurrents. Sur un avion de type Airbus A321, cela permet de diviser par deux le poids de la cabine, et de gagner 5 % sur la masse totale de l’appareil. Or, dans l’aéronautique comme dans l’auto, le poids est l’ennemi : un avion moins lourd consomme moins de kérosène et rejette moins de polluants. Tout bénef’ pour les compagnies !
Qu’est-ce qui a motivé cette collaboration très particulière entre une start-up de l’aérien fondée en 2011 par deux (très) jeunes ingénieurs français et le Peugeot Design Lab, filiale du plus que bicentenaire groupe industriel franc-comtois ? D’abord le fait qu’Expliseat compte parmi ses investisseurs un certain Christian Streiff, ex-PDG de PSA Peugeot Citroën. Mais pas seulement. « Chez Peugeot, nous produisons environ 15 millions de sièges par an ! », explique Cathal Loughnane, responsable du Peugeot Design Lab. « On a des ergonomes et des ingénieurs qui travaillent sur l’amélioration du confort à bord de nos autos. C’est donc tout ce savoir-faire qui a été appliqué sur les questions spécifiques du siège d’avion. »
Le Peugeot Design Lab n’en n’est pas à son coup d’essai. Ses équipes ont ainsi dessiné le futur hélicoptère d’Airbus, le H160, mais aussi un superbe piano pour Pleyel, une montre pour Pecqueur Conceptuals ou encore un sofa en carbone et… granit !
Et la marque au Lion n’est pas la seule à offrir ses services au-delà de la sphère automobile. BMW possède ainsi depuis 1995 une filiale similaire, baptisée DesignworksUSA. À son actif, des créations aussi variées que des yachts, un ordinateur ou encore le futur métro de Kuala Lumpur.
Quant à la célèbre firme Porsche Design, elle fut fondée en 1972 par Ferdinand Alexander Porsche, le « papa » de la légendaire 911. Outre la collection d’accessoires Porsche, elle a imaginé toute une ligne de produits à l’esthétique ultra-épurée, allant du téléphone portable au chronographe, en passant par… la cuisine équipée !
Pourquoi une telle diversification ? D’abord pour des questions d’image. Grâce à ces créations, les marques touchent une clientèle bien plus large que celle des amateurs d’automobiles. Associer son nom à des objets raffinés au design avant-gardiste est flatteur. Mais briller en société n’est pas le seul objectif. Car une voiture est un produit éminemment complexe, au carrefour de nombreux savoir-faire. D’un côté, des ingénieurs qui travaillent dans les domaines de la chimie, des composites, des alliages, de la combustion ou de l’électronique ; De l’autre, des stylistes qui œuvrent à marier des formes, des matériaux et des textures ; Le tout, avec l’obsession d’un coût optimal et d’une faisabilité en grande série, en respectant un cadre réglementaire strict. Du coup, l’automobile est l’une des rares industries à l’intersection de toutes les technologies et de toutes les compétences. Autant de savoir-faire de spécialistes qui sont particulièrement monnayables vis-à-vis de clients opérant dans des domaines parfois totalement différents.
Mais n’y a-t-il pas un risque de diluer l’image ? « La marque Peugeot n’est pas seulement une marque automobile », rétorque Cathal Loughnane. « Nous avons été fondés en 1810, et c’est seulement 90 ans plus tard que l’on a fabriqué notre première voiture. (…) Nos racines sont dans le « non automobile » et notre actualité ce n’est pas uniquement l’automobile. Du coup, travailler avec des gens de l’extérieur, sur des sujets non automobiles, c’est complètement naturel. » Et sans doute aussi très rentable.