Voitures propres : les objectifs sont-ils tenables ?

Dès cette année, les constructeurs automobiles sont taxés, par l’Union Européenne, en fonction des rejets de CO2 des voitures vendues. Si l’on tient compte des rejets moyens des voitures immatriculées en 2020 sur notre continent, 102,2 g/km à fin août, l’objectif semble presque atteint. Mais…

Une législation déconnectée de la réalité ?

Les marques automobiles présentes en Europe vivent, depuis un an, sous le régime du CAFE (Corporate Average Fuel Economy). Cette réglementation prévoit que la moyenne des rejets de CO2 des modèles vendus, durant une année calendaire, ne dépasse pas 95 g/km. A première vue, cet objectif parait irréalisable : cette moyenne était, en 2019, de 112 g/km en France et de 122 g/km dans l’Union. Des chiffres qui sont victimes de l’engouement croissant des acheteurs pour les SUV, plus énergivores. Pour prendre une comparaison plus parlante, pour atteindre ce seuil, une voiture essence doit consommer 4,1 l/100 km en moyenne et une Diesel, 3,7 l/100 km. La plupart des automobilistes répondront instantanément qu’ils sont largement au-dessus de ces chiffres avec leur auto. A noter que ces moyennes ne sont pas calculées par marque mais par groupe. Une précision bienvenue pour les gros émetteurs de dioxyde de carbone tels que les fabricants de supersportives ou de gros SUV.

Au 30 septembre 2020, une étude de l’ONG International Council on Clean Transportation indiquait toutefois que la moyenne européenne, depuis le début de l’année 2020, s’établissait encore à 102 g/km. Et pas question, pour la Commission Européenne, d’assouplir ses demandes sous couvert de crise sanitaire. Les constructeurs avaient bien, pour la plupart, anticipé le coup en accélérant le développement de voitures propres, mais les confinements successifs et les arrêts d’usine qui se sont multipliés ont ralenti la mise sur le marché de ces modèles salvateurs.

Pourtant, la plupart des géants du secteur se disent confiants quant au fait de n’avoir pas, ou peu, d’amendes à payer cette année et pour celles qui suivront. L’Europe a-t-elle finalement eu raison de maintenir la pression ?

Un jeu aux règles étranges

Avec uniquement des autos thermiques, c’est-à-dire avec des moteurs essence ou Diesel sans aucune forme d’assistance, atteindre les objectifs fixés par Bruxelles serait impossible. La technologie, et la Législation, viennent toutefois aider les constructeurs dans cette quête. Si l’arme ultime est la voiture électrique, avec son absence de rejets de CO2 lors du roulage, cette formule n’est pas encore adaptée à tous. En revanche, les hybrides le sont. On distingue trois formes de cette technologie : l’hybridation légère, ou mild-hybrid, le full hybrid et l’hybride rechargeable. Si cet ordre est celui de la progression du coût, il est aussi celui de l’amélioration de l’efficience. Du moins, sur le papier.

Prenons trois exemples.

1/ la Kia Rio 1.0 T-GDi DCT. Dans sa version thermique, développant 100 ch, elle est homologuée pour 127 g/km de CO2. Sa variante MHEV, à hybridation légère, gagne 20 ch tout en rejetant, officiellement, 125 g/km de CO2, et en affichant, à équipement équivalent, un tarif environ 200 € plus élevé.

2/ la Renault Clio. Sa nouvelle version full hybrid E-Tech 140 ch rejette 99 g/km de CO2, contre 119 g/km pour la version thermique qui la précédait, la 1.3 TCe 130 ch. La différence de tarif entre les deux versions est de 1 100 €

3/ la Volkswagen Golf. Si cette compacte mythique propose également des versions à hybridation légère (eTSI), c’est l’hybride rechargeable GTE qui nous intéresse ici car elle illustre parfaitement les imperfections de la législation. Ainsi, cette version de 245 ch est homologuée pour une consommation moyenne de 1,1 l/100 km, soit 26 g/km de CO2. Avec la même puissance, la Golf GTI affiche 7,4 l/100 km, soit 168 g/km de CO2. Niveau prix, la GTE vaut 2 455 € de plus que la GTI mais les aides fiscales de certains pays – comme le bonus de 2 000 € accordé en France alors que la GTI est touchée par un malus de 1 901 € – peuvent inverser la tendance. Pas étonnant, donc, que cette technologie, se développe à vitesse grand V sans que personne ne semble se soucier que, dans la vraie vie, les consommations seront largement supérieures.

Il est également possible aux constructeurs d’acheter des crédits carbone. Concrètement, un constructeur dont la moyenne de rejets est inférieur à 95 g/km peut vendre son « droit à polluer davantage » à un de ses concurrents qui n’atteint pas cet objectif. Tesla est l’un des spécialistes de cette méthode et à déjà engrangé plusieurs milliards en vendant ces fameux crédits en Europe et en Amérique du nord. Le message envoyé par cette possibilité est toutefois trouble. Ainsi, pourquoi se priver de vendre des voitures « sales » si c’est plus rentable ? Une partie des bénéfices ainsi engrangés pourra ainsi servir à acheter des crédits carbone.

Seul le client décide

Si l’offre en matière de voitures propres semble aujourd’hui de nature à satisfaire à la majorité des demandes, les ventes restent toutefois confidentielles même si elles semblent progresser rapidement. Ainsi, en 2020 et sur le marché français, hybrides et électriques cumulaient 21,5 % des ventes (10,3 % pour les hybrides non-rechargeables, 4,5 % pour les hybrides rechargeables et 6,7 % pour les électriques). Une belle progression par rapport aux 7,6 % de 2019 mais qui s’explique en grande partie par l’arrivée de modèles à hybridation légère.

En résumé, le nombre de véhicules propres disponibles à la vente est désormais conséquent, les constructeurs mettent en place des promotions, souvent sous forme de LOA/LLD, attractives pour les promouvoir, nombre d’Etats européens mettent en place des incitations fiscales pour favoriser la vente de ces autos et, pourtant, environ 8 automobilistes du Vieux Continent sur 10 préfèrent acquérir un bon vieux moteur thermique. Car, au final, et c’est là l’un des principaux points noirs de la législation européenne, les constructeurs peuvent faire tous les efforts possibles et imaginables, si les clients n’achètent pas leurs voitures propres, ils seront financièrement pénalisés.

Difficile de savoir précisément ce qui empêche les acheteurs de se laisser séduire. On peut imaginer que le prix est un des critères prépondérants, notamment parce que la plupart des marques ont fait le choix de versions puissantes pour leurs hybrides rechargeables et leurs électriques. Concernant ces dernières, les questions d’autonomie, de temps de recharge et de maillage du territoire en matière de bornes publiques semblent également réfréner nombre d’automobilistes. On peut également imaginer que la fiabilité de ces technologies n’est pas encore avérée pour le plus grand nombre, même si, dans l’ensemble, hybrides et électriques posent moins de soucis qu’essence et Diesel. L’une des clés pourrait également venir du dernier maillon avant le client final : le concessionnaire. En effet, une enquête récente de Greenpeace auprès de 50 d’entre eux démontre que seulement 8 ont conseillé à des clients mystères appartenant à l’ONG, et dont le profil d’utilisation correspondait parfaitement à la voiture électrique, l’achat d’une ID.3.

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