Depuis la mise en application de la limitation de vitesse à 80 km/h sur le réseau secondaire, la majorité des automobilistes ainsi que certains élus réclament un retour au « bon vieux » 90. Les voilà entendus, même si cette marche arrière n’est que partielle.
Le 80 a-t-il vraiment été bénéfique ?
C’est indéniable : depuis 2017, dernière année complète où le 90 km/h était de rigueur sur les axes départementaux, la mortalité routière a baissé en France. De 3 684 décès cette année-là, nous sommes passés à 3 239 l’an dernier, soit -12%. Sur la période 2005-2017, sous l’ère du 90 donc, ce bilan avait déjà baissé de plus d’un tiers. Proportionnellement, la baisse parait donc plus forte mais, en se penchant de près sur la période allant de l’instauration du 80 km/h (1er juillet 2018) au 31 décembre 2019, certains évènements, tels que le mouvement des Gilets Jaunes, peuvent également expliquer ces données car on enregistre sur cette période une baisse de la circulation. L’épisode sanitaire actuel le démontre : moins de voitures sur les routes, c’est automatiquement moins d’accidents et moins de morts. Début 2019, le Ministère de l’Intérieur se félicitait néanmoins que sur les 140 morts en moins constatés, hors agglomération et hors autoroute, en 2017 et 2018, 127 étaient relevés sur le 2nd semestre, c’est-à-dire une fois le 80 km/h instauré. Pour appuyer son argumentaire, il précise également qu’il y a eu relâchement en novembre et décembre 2018. Un phénomène mis sur le compte des opérations de neutralisations quasi-généralisées des radars automatiques. En clair, si les Français ne craignent pas de sanctions, ils seraient prêts à prendre plus de risque sur les routes. Sauf que, en novembre 2018, le nombre de morts sur les routes hexagonales était inférieur de 1,8% à celui du même mois de l’année précédente. Septembre de cette même année produit même un contre-exemple ‘’idéal’’ avec une hausse de 8,8%.
En fait, l’utilisation (manipulation ?) de ces chiffres fait fi de nombreux critères extérieurs. On l’a vu, une baisse de la circulation correspond à une baisse de l’accidentologie. A l’inverse, une météo clémente entraine quasi-systématiquement une augmentation du nombre de victimes, et principalement des utilisateurs de deux roues. Autre point qui semble négligé par les autorités, l’amélioration du niveau de sécurité du parc automobile. Chaque année, une part croissante des voitures qui circulent en France sont ainsi équipées de l’ABS, de l’ESP, d’airbags et de toute une panoplie d’aides à la conduite : c’est le ‘’jeu’’ normal entre l’arrivée de voitures neuves et la mise au rebut de modèles plus anciens. Sans oublier, qu’en cas d’accident, les voitures protègent de mieux en mieux leurs occupants.
Il était prévu que le 30 juin prochain, ce qui est officiellement une expérimentation prendra fin. Le Gouvernement a promis qu’un bilan serait fait de ces deux ans à 80 afin de déterminer s’il faut revenir au 90 km/h sur l’ensemble du réseau concerné ou pas. Les chiffres étant, heureusement, meilleurs, il parait inimaginable que marche arrière soit faite.
Au final, il est impossible de ne pas se réjouir de la baisse du nombre de morts sur les routes. Le problème, c’est qu’en attribuant tout le mérite au passage à 80 km/h, nos dirigeants ne cherchent pas quels sont les autres moyens de continuer à améliorer ce triste bilan.
Quels changements au quotidien ?
Combien de fois vous êtes-vous déjà demandé quelle était la vitesse maximale autorisée sur le tronçon que vous êtes en train d’emprunter ? En ajoutant une possibilité supplémentaire, il sera encore plus difficile de s’y retrouver. Le piège est double : soit vous vous ferez ‘’pousser’’ par les autres automobilistes parce que vous roulez à 80 sur une route à 90, soit vous vous ferez verbalisé car vous serez à 90 au lieu de 80. Cerise sur le gâteau, on imagine mal que la situation concernant la signalisation, déjà catastrophique, va s’améliorer.
La signalisation va d’ailleurs devenir une autre source de tracas, financière cette fois-ci. Faudra-t-il préciser la limitation de vitesse en vigueur sur chaque tronçon, ce qui est très loin d’être le cas aujourd’hui ? Dans ce cas, les coûts seraient largement supérieurs à ceux d’ores et déjà annoncés, qui vont de 50 000 € pour le département des Deux-Sèvres à plus de 500 000 € pour la Seine-et-Marne. Des montants qui ne tiennent compte que de la réinstallation de panneaux 90 sur les axes concernés. Sachant que le coût d’un panneau, pose incluse, oscille entre 200 et 250 €, la facture pour couvrir entièrement le territoire serait faramineuse… et à la charge des départements.
Quant aux détracteurs du retour à l’ancienne limitation de vitesse, ils mettent en avant deux arguments majeurs. Le premier concerne la pollution. En effet, sur un axe où les relances sont peu fréquentes, plus une voiture va vite, plus, en théorie, elle consomme et, donc, plus elle émet de rejets polluants. Pas si simple, en réalité, car les niveaux de consommation et de pollution dépendent du régime moteur. Ainsi, une auto qui circule à 80 en 5ème à 2 500 tr/mn polluera plus qu’une autre roulant à 90 en 6ème à 2 000 tr/mn. Les constructeurs eux-mêmes reconnaissent d’ailleurs que l’étagement de leurs boites de vitesses manuelles est surtout optimisé pour rouler entre 90 et 100 km/h, ce qui correspond à la majorité des limitations de vitesses sur le réseau secondaire des différents pays européens. Les transmissions automatiques sont moins concernées par ce problème car elles n’hésiteront pas, contrairement à un conducteur, à passer le rapport supérieur dès que possible quitte à rétrograder immédiatement si le besoin de puissance se fait sentir (dépassement, faux-plat…).
Le second argument est le plus épineux, puisqu’il concerne la sécurité routière. Toutes les associations de victimes de la route ne manquent de prédire une hécatombe sur les axes repassant au 90 km/h. Aucun élément tangible ne permet d’aller dans ce sens… ou dans l’autre. En effet, l’amélioration constante du niveau de sécurité des voitures pourraient compenser la hausse du risque causé par l’augmentation de la vitesse (à données constantes, plus la vitesse est élevée, plus la gravité des blessures occasionnées lors d’un accident le sont). Malheureusement, seul le temps répondra à cette question et il est naturellement à souhaiter que le nombre de victimes de la route continue à baisser. Pour parvenir à ce résultat, plusieurs points devraient déjà être mis en œuvre car leur efficacité n’est pas à prouver : améliorer fortement la qualité des infrastructures routières, intensifier la chasse aux conducteurs roulant sous l’emprise de l’alcool ou de drogues et permettre plus facilement aux Français d’accéder à des voitures plus récentes, et donc plus sûres, ne pourra que permettre de sauver des vies.
Retour sur une décision polémique
Le 9 janvier 2018, lorsque, à l’issue du Conseil Interministériel sur la Sécurité Routière (CISR), Edouard Philippe annonce la baisse de la vitesse maximale autorisée sur le réseau secondaire à 80 km/h, c’est un coup de tonnerre qui ébranle les automobilistes français. Selon certains spécialistes, cette décision serait même l’une des principales causes du déclenchement du mouvement des Gilets Jaunes à la fin de cette même année. Car si les oppositions sont nombreuses, parfois même en provenance de proches de Matignon, cette décision est appliquée, comme prévu, le 1er juillet 2018. La raison invoquée est la nécessité de faire baisser le nombre de morts et de blessés sur les routes. Fin 2017, on dénombre, en effet, 3 500 décès et 72 000 personnes gravement touchées sur les routes de l’Hexagone.
La séquence de rétro-pédalage débute en mai 2019, avec l’annonce d’un assouplissement possible de cette mesure. Mais pas question pour le Premier Ministre de faire un trait sur cette mesure. Il ne manque d’ailleurs pas de souligner à cette période que cette mesure a permis, selon lui, que 2018 soit l’année la moins mortelle sur les routes. C’est donc aux présidents des conseils départementaux de prendre deux décisions : Souhaitent-ils un retour au 90 km/h et, si oui, concernera t-il tout ou partie du réseau de leur territoire ?
A ce jour, seuls 30 départements sont revenus, souvent très partiellement, ou sont sur le point de revenir à la précédente limitation de vitesse.