Semi-conducteurs : une crise qui va durer

C’est une autre crise qui a cours depuis le début de l’année. Mais celle-ci ne touche que ceux qui s’intéressent de près au monde de l’automobile… ou qui sont en attente de leur voiture neuve. Mauvaise nouvelle, certains spécialistes du secteur prédisent qu’elle va se poursuivre encore pas mal de temps. Et pas question de compter sur un vaccin pour s’en sortir.

Petits mais indispensables

D’un strict point de vue technique, un semi-conducteur est un matériau non-métallique qui mêle les caractéristiques électriques d’un isolant et d’un métal. En terme plus simple, c’est un corps qui conduit imparfaitement l’électricité. Cela ne vous parle toujours pas ? Et si l’on vous dit que le semi-conducteur le plus utilisé est le silicium ? Ce composé est, en effet, la base de toutes les puces électroniques, puces dont nos automobiles regorgent désormais. Et même si certains constructeurs ont décidé de limiter le nombre de ces puces à bord de leurs modèles (l’exemple de la deuxième génération de Peugeot 308, qui avait reçu un tableau de bord entièrement digital durant l’été 2020 mais qui, depuis quelques semaines, l’a abandonné et récupéré son précédent blog analogique, est sans doute celui qui a été le plus médiatisé), il leur est parfois difficile d’obtenir un nombre suffisant de composants électroniques pour tenir le rythme de production. Ainsi, Audi a retiré de la liste des équipements, qu’ils s’agissent d’équipements de série ou d’options, de la plupart de ses modèles le réglage électrique de la colonne de direction, le système de contrôle avancé de pression des pneumatiques, les dispositifs d’attelage et les Phone Box. Lorsque l’on sait qu’un modèle de milieu de gamme actuel a besoin de plus de micro-processeurs qu’un Airbus du début des années 1980, on comprend mieux l’ampleur du problème. En effet, de l’injection à la dépollution, en passant par les systèmes multimédia et de sécurité, rares sont les fonctions de nos autos à ne pas faire appel à une commande électronique et, donc, à un ou des micro-processeurs.

Petite histoire d’une grosse crise

L’une des origines de la crise actuelle tient en deux mots : flux tendu. Initié, dans le secteur automobile, durant les années 1970, ce process vise à ne se faire livrer les éléments nécessaires à la fabrication d’une voiture au dernier moment, l’intérêt pour les constructeurs étant de ne pas avoir à supporter les coûts engendrés par le stockage. Naturellement, cela impose d’être parfaitement sûr de la chaine d’approvisionnement. Une pièce manquante peut, en effet, mettre à l’arrêt une usine entière ou conduire à des situations ubuesques. Ainsi, il y’a quelques dizaines d’années, un fabricant d’électro-ménager avait livré plusieurs milliers de fours sans leur porte, promettant aux clients médusés de venir leur installer cet élément primordial le plus rapidement possible. Si le choix du flux tendu a des conséquences très positives en termes de coût de fabrication, et donc de prix de vente, il est très dépendant des imprévus, tels qu’une catastrophe naturelle, un incendie ou… une pandémie. La Covid-19 est, en effet, la cause principale du manque actuel de semi-conducteurs.

Les constructeurs automobiles s’engagent généralement sur leurs achats de composants plusieurs années à l’avance. Début 2020, avec l’arrivée de la Covid, qui a entrainé une chute des ventes et l’arrêt de nombreuses usines d’assemblage pour cause de confinement, la plupart des marques sont revenues sur leurs engagement initiaux auprès de leurs fournisseurs. Jusque-là, rien que de très courant puisque les contrats signés prévoient ce genre de modification. Mais, alors que l’industrie automobile mondiale voyait ses ventes chuter, d’autres produits, eux aussi fortement consommateurs de semi-conducteurs, voyaient leurs ventes exploser. Les fabricants de matériels électroniques grand public (smartphones, informatique, audiovisuel…) ont donc compensé, pour les fabricants de puces, le manque à gagner dû à la baisse des commandes du secteur automobile. Voire davantage puisque, d’une part, il semble que la production mondiale de semi-conducteurs, toujours partiellement impactée par la crise sanitaire qui continue à entrainer l’arrêt temporaire de certaines usines, ne suffise pas à répondre à la demande. Le mécanisme capitalistique de base s’est alors mis en marche : plus de demande que d’offre entraine une hausse des prix. D’autant que, depuis la fin de l’année 2020, les constructeurs automobiles augmentent également leurs demandes. Ainsi, selon certaines sources, le prix de certains composants aurait été multiplié par cinq, voire par dix. Certes, nous ne parlons ici que d’éléments valant généralement une poignée d’euros. Absorber un tel surcoût n’est donc pas un problème pour les géants de l’électronique dont les marges sont plus que confortables. Mais difficile pour un constructeur automobile de suivre le rythme de la hausse des tarifs.

A quand la sortie du tunnel ?

Les conséquences de cette crise sont multiples pour les automobilistes. Cela commence par un allongement quasi-généralisé des délais de livraison des voitures neuves. Mais d’autres changements négatifs sont également apparus. Ainsi, il s’avère que plusieurs marques favorisent aujourd’hui la livraison des versions haut de gamme, de préférence, complétées de pas mal d’options, qui sont plus rentables. On relève également des niveaux de remise en baisse sur presque tous les modèles du marché. Si certains « perdent » ainsi 2 à 3 points de rabais, d’autres rognent les effets commerciaux plus notablement, de l’ordre de -5 à -10 points ! Les acheteurs auront donc, plus que jamais, des difficultés à faire de bonnes affaires. D’autant que, dans le même temps, les occasions de moins de trois ans ont vu leurs tarifs fortement augmenter, un pis-aller retenu par nombre d’automobilistes qui voulaient acheter une voiture neuve mais qui ne veulent ou ne peuvent pas attendre jusqu’à 9 mois leur nouvelle monture.

Equipementiers et constructeurs s’accordent pour dire que ce passage à vide va encore perdurer durant de longs mois. Les plus optimistes entrevoient un retour à la normale pour l’été 2022, mais la plupart évoquent désormais 2023. Lors de notre enquête, l’un des responsables des achats d’un grand groupe nous a même confié entrevoir des difficultés, certes décroissantes, jusqu’en 2025 ! Pour le moment, pas d’autres solutions pour les fabricants d’automobiles que de faire le dos rond en acceptant des délais à rallonge ainsi que des tarifs qui augmentent fortement. A noter que, jusqu’à présent, aucun constructeur n’a répercuté cette hausse du prix d’achat des semi-conducteurs sur ses tarifs catalogue, mais plusieurs nous ont confié que, si la hausse des prix se poursuivait au-delà de la fin de cette année, ils y seraient probablement contraints. Pour sortir de cette crise, une seule issue possible : construire de nouvelles usines et augmenter la production mondiale de semi-conducteurs. L’organisation professionnelles SEMI, qui regroupe la plupart des acteurs de ce secteur, a d’ailleurs indiqué, il y a quelques semaines, que 29 projets de constructions d’usine étaient actuellement en développement dans le monde. Mais seulement 3 devraient être implantées en Europe et aucune ne sera opérationnelle avant 2023. Sera-ce suffisant pour atteindre les objectifs de l’Union, à savoir doubler sa part de production de semi-conducteurs de 10 à 20 % du marché mondial ?

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