Après avoir annoncé de nouvelles pertes financières, Tesla a voulu remonter le moral des investisseurs en dévoilant ses projets à (très) court terme concernant la voiture autonome. Mais faut-il y croire ?
Une fois n’est pas coutume, Elon Musk a souhaité éviter les effets de manche. Le 22 avril dernier, le bouillant patron de Tesla n’a pas organisé un « keynote » à grand spectacle façon Steve Jobs : pour cet « Autonomy Day », il a préféré laisser la place à ses experts en électronique et intelligence artificielle pour révéler les avancées de la marque en matière de voiture autonome. Sans pour autant résister à l’envie d’intervenir de temps à autres afin d’envoyer une pique à ses critiques ou d’asséner une affirmation choc destinée à imprimer les esprits.
Relative sobriété sur la forme, donc. Mais sur le fond ? Une fois de plus, les annonces de Tesla sont pour le moins spectaculaires. Le constructeur a ainsi développé en moins de trois ans un ordinateur surpuissant capable de faire fonctionner le « cerveau » qui permettra à ses modèles de conduire de façon totalement autonome. C’est le fameux « Full self driving » (FSD pour les intimes), ou l’autonomie de niveau 5 (ou 4, ce n’est pas tout à fait clair). Plus fort encore : ce mégaordinateur est d’ores et déjà monté dans les Model 3, S et X qui sortent actuellement des chaînes !
Devant un parterre d’investisseurs et de journalistes financiers quelque peu dépassés par les termes techniques employés, le directeur Peter Bannon a ainsi exposé dans le détail les entrailles de cet ordinateur, en réalité constitué de deux calculateurs indépendants et redondants, composés chacun de 6 milliards de transistors, l’ensemble étant capable d’analyser 2 100 images par seconde. « C’est largement le meilleur processeur au monde », selon Elon Musk, ajoutant que la prochaine génération de calculateur était d’ores et déjà à l’étude.
Mais le meilleur ordinateur n’est rien sans un bon logiciel. Le spécialiste « Intelligence artificielle » de Tesla, Andrej Karpathy, a alors expliqué comment fonctionnait les réseaux de neurones chargés de décrypter les fameuses 2 100 images par secondes, et l’importance cruciale qu’avait la flotte Tesla existante dans leur apprentissage. Car, en remontant des cas d’utilisation par le cloud, les Tesla déjà sur les routes alimentent les réseaux de neurones et leur permettent d’apprendre plus rapidement à distinguer un cycliste d’un camion ou d’un animal errant.
Une courbe d’apprentissage qualifiée « d’exponentielle » qui permettrait selon Elon Musk d’avoir des Tesla 100% autonomes sur nos routes dès l’an prochain. Et, comme il sera possible d’installer ce supercalculateur en « retrofit » sur certains modèles existants, ce seraient ainsi un million de voitures autonomes qui débarqueraient d’un coup d’un seul dans le courant de 2020 ! Encore mieux : leurs propriétaires pourront même les intégrer à la « flotte Tesla » de taxis-robots, afin d’abaisser leur coût total de possession. Selon les chiffres fournis par Musk, un taxi-robot fonctionnant 16 heures par jour pourrait rapporter… 30 000 dollars par an. Du coup, on se demande pourquoi Tesla vend encore ses voitures plutôt que de les utiliser pour créer sa propre flotte de robots-taxis ultra-rentable !
Bref, si la forme était plus austère qu’à l’accoutumée – probablement pour rasséréner des investisseurs en proie au doute, notamment après le fameux tweet sur les « fonds sécurisés » – sur le fond, Tesla s’est encore livré à un brillant numéro d’illusionniste. Car personne ne sait encore quand la voiture autonome arrivera. Ce qui est certain, c’est qu’elle n’arrivera pas l’an prochain, ni en 2021, ni probablement en 2022. Et que Tesla est loin d’être l’entreprise la plus avancée dans ce domaine.
Pour ce dernier point, ce n’est pas une affirmation en l’air, mais le contenu des rapports annuels sur les voitures autonomes publiés par le DMV (department of motor vehicles) de Californie. Ainsi, si les véhicules autonomes de Waymo (Google) parcourent en moyenne 17 726 km entre deux interventions humaines et ceux de Cruise (General Motors) 8 375 km, Tesla a pour sa part officiellement déclaré « ne pas avoir testé de véhicule en mode autonome sur les routes de Californie, ni opéré aucun véhicule autonome tel que défini par la loi californienne ». En clair, la marque accuse un énorme retard sur les deux leaders actuels de la voiture autonome.
Et elle n’est pas aidée par les étranges obsessions d’Elon Musk. Comme son mépris affiché pour les lidars (radars laser), qui seraient une impasse pour la voiture autonome. « Quiconque se repose sur le lidar est perdu. Ce sont des capteurs coûteux et inutiles » a-t-il encore précisé lors de cet Autonomy Day. Les lidars offrent cependant un niveau de redondance supplémentaire par rapport aux caméras, en affinant la détection des obstacles. Quant à leur coût, il n’est visiblement pas si élevé que ça puisque Audi en installe déjà sur ses A6, A7 et A8…
Le tragique accident provoqué par une voiture autonome Uber, qui a coûté la vie d’une SDF près de Phoenix (Arizona) en mars 2018, doit servir de douloureux rappel : le chemin vers la voiture autonome – si un tel chemin existe ! – sera long, tortueux et semé d’embûches. Ceux qui s’obstinent à vouloir prendre des raccourcis traitent leurs concitoyens pour des cobayes. Et prennent le risque d’avoir du sang sur les mains.
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